1797 La leçon de labourage

 

 

1797 La leçon de labourage

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Une des premières esquisses du tableau

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La leçon de labourage

Texte de Michel Forestier

24/04/2014

François-André Vincent (1746-1816) est un peintre talentueux aujourd’hui oublié, auteur d’un tableau de facture néoclassique que nous allons commenter ici car il permet d’ouvrir une réflexion sur ce qu’est le travail, à partir de sa place au XVIII° siècle finissant.

 

1 francois andre vincent la lecon de labourage 1798

François-André Vincent, Agriculture, 1797-1798, Bordeaux, musée des Beaux-arts

Peinture de genre à visée allégorique, elle fait se croiser graphiquement deux lignes et ainsi rencontrer deux mondes qui d’habitude s’ignorent. D’un côté, unifiés par les tons bruns, un paysan qui va nu pied et une charrue tirée par deux puissants bœufs, de l’autre un jeune bourgeois en tenue de ville qui s’essaie au labourage et sa famille venue assister à la leçon. Le contraste est certes saisissant, mais le maître n’est pas celui qu’on croit. C’est ici le laboureur. Ce bras gauche avec lequel il montre comment guider les bœufs est inspiré de celui de Dieu qui dans la Chapelle Sixtine donne vie à Adam.

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Michel-Ange, La création de l'homme, Chapelle Sixtine

On ne peut comprendre cette scène rurale étonnante qu’en resituant l’oeuvre dans son contexte. Elle a été commandée au peintre par un riche industriel Toulousain, propriétaire d’une filature de coton, afin de venir orner son hôtel particulier.

Elle devait illustrer le thème de l’éducation :

Pénétré de cette vérité, que l’Agriculture est la base de la prospérité des Etats, le peintre a représenté un père de famille qui, accompagné de sa femme et de sa jeune fille, vient visiter un laboureur au milieu de ses travaux.

Il lui rend hommage en assistant à la leçon qu’il l’a prié de donner à son fils, dont il regarderait l’éducation comme imparfaite sans cette connaissance » explique le livret du Salon de 1798 au cours duquel l’œuvre fut pour la première fois exposée au public.

C’est un tableau ambitieux qui enchevêtre les niveaux de lecture. Le visible – la description du travail agricole moderne, la leçon du laboureur et le portrait d’une famille aisée – y est mis au service de deux thèses, éducative et physiocrate.

La première, sous l'influence de Rousseau, accorde aux travaux manuels et aux exercices physiques une place éminente dans l'éducation.

La deuxième, la physiocratie - étymologiquement "gouvernement par la nature" - doctrine économique dominante en France à cette époque, considère que l’agriculture est la seule activité productive car seule la terre produit plus qu’elle ne reçoit.

Mais que peut-nous dire aujourd’hui une telle œuvre sur le travail ?

D’abord que ce n’est que fort récemment qu’il s’est diversifié, puisqu’au XVIII° siècle, c’est toujours l’agriculture qui emploie l’immense majorité des bras disponibles et qui bénéficie d’une reconnaissance publique pour son utilité et ses vertus.C’est un travail concret en rapport direct avec la nature, et qui épouse son rythme, fort éloigné des conditions du travail contemporain.

Elle montre aussi combien le travail est déterminé par le niveau technique avec lequel il s’exécute. La charrue que Vincent dépeint avec une grande précision bénéficie des dernières innovations de l’époque.

Si l’âge est toujours en bois, les parties soumises à l’usure la plus intense, le soc, le versoir et les deux coutres, sont en fer. Elle se conduit avec un seul mancheron et ne dispose pas encore de roues, ni de réglages, ce qui rend difficile son maniement et le maintien de sa stabilité. Mais cet outil, tiré par des bœufs et bien dirigé, permet de retourner la terre et non plus seulement de la gratter comme le faisait l’araire qui l’a précédé. Il a permit d’accroitre les rendements agricoles, tout en mobilisant moins de travailleurs.

Mais c’est le moins apparent, la couche la plus intime du travail humain qui est ici rendue parfaitement visible. En effet, ce qui le caractérise et le distingue des activités animales qui pourraient lui ressembler, c’est que sa technicité est cumulative et qu’il s’enseigne et se transmet.

Nul ne naît laboureur, mais chacun peut le devenir, avec plus ou moins de talent. Labour a la même étymologie que labeur. C’est à bon droit que notre espèce pourrait être qualifiée d’homo laborans.

Toutefois, c’est dans une étude préparatrice à Agriculture que Vincent se montre le plus didactique, et en une seule image révèle un processus séquentiel de travail – le sien en l’occurrence, celui du peintre – et place les repères nécessaires à qui veut le maitriser :

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L’agriculteur et son élève, 1796, Karlsruhe, Staatliche Kunsthalle

Cette belle étude centrée sur la relation pédagogique du maître et de l’apprenti présente dans un même cadre l’ensemble des étapes de fabrication de l’œuvre, depuis l’ébauche du couple à l’arrière plan, en passant par le dessin au crayon du corps nu du paysan jusqu’à la peinture à l’huile de l’enfant et une mise au carreau pour permettre le report sur la toile.

La leçon de labourage semble avoir ainsi été l’occasion pour Vincent de donner, avec cette étude, une leçon de peinture à ses élèves. Ainsi, d'une leçon à l'autre, il confirme que tout travail s'apprend et que sans l'apprendre il est impossible de bien l'exécuter.

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Depuis fin 2013, les musées des Beaux-arts de Tours et de Montpellier ont entrepris successivement de faire redécouvrir l’œuvre de François-André Vincent. La leçon de labourage et ses études préalables peuvent être ainsi admirées au Musée Fabre, jusqu’au 11 mai 2014. Vous pouvez aussi consulter le catalogue raisonné de ses œuvres : François-André Vincent – un artiste entre David et Fragonard, Jean-Pierre Cuzin, Edition Arthena, 2013.

Rédigé par Michel Forestier dans Histoire du travail, Images

http://www.penserletravailautrement.fr/mf/2014/04/la-le%C3%A7on-de-labourage.html

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Michel Forestier

Michel forestier

Au carrefour de cultures et d’expériences

pour penser la polysémie du travail

  Je suis ingénieur agronome (1977) et docteur en philosophie (2009). Cette double culture, scientifique et littéraire, je l’ai forgée progressivement : la première, acquise par ma formation initiale et la seconde, construite tout au long de ma vie professionnelle.

J’ai engagé mes premières réflexions philosophiques sur le travail, en 2003, à l’occasion de ma reprise d’études. Je dirigeais depuis trois ans l’Association Régionale d’Amélioration des Conditions de Travail de Champagne-Ardenne. J’avais alors pensé qu’il serait plus facile pour moi de combiner étude et vie professionnelle si je choisissais comme sujet de mon mémoire de maitrise, une notion philosophique en relation avec mon activité. Ce choix se révéla si opportun que je l’ai maintenu pour le master puis pour ma thèse.

Lorsque mes recherches m’ont conduit à m’interroger sur les deux versants du travail, celui qui met en rapport les hommes avec la nature et celui qui les met en rapport les uns avec les autres, mes parcours culturels et professionnels dissociés se sont tout d’un coup trouvés rassemblés et légitimés. Du travail de la nature et de sa transformation, l’ingénieur agronome, un temps conseiller en développement agricole en Afrique, peut en parler. Et le dirigeant d’un organisme paritaire, également consultant sur les problématiques de conditions de vie au travail, ancien délégué syndical, s’est nécessairement trouvé au cœur des tensions sociales générées par le travail contemporain. C’est cette double influence qui m’autorise aujourd’hui à philosopher sur le travail, car elle offre la garantie de maintenir la liberté conceptuelle du philosophe sur le chemin des réalités humaines et naturelles dont il prétend rendre compte. C’est aussi elle qui m’a donné la force, le désir et la persévérance d’achever un ouvrage sur le travail, de le rendre public et d’ouvrir un bloc-notes sur la toile pour en accompagner la diffusion.

Un bloc-notes pour enrichir le débat citoyen sur le travail

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Date de dernière mise à jour : 25/12/2017

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